Pour son colloque 2024 dédié à la mobilité des personnes, la Cellule Mobilité d’AKT for Wallonia avait convié son réseau à la Nef, une église désacralisée de Namur. L’objectif était d’évoquer un florilège d’applications déjà opérationnelles dans la mobilité et faisant appel à l’IA. Parce que celle-ci, en s’immisçant dans les infrastructures et les technologies qui accompagnent la mobilité, va considérablement bouleverser notre manière de nous déplacer. La révolution est en marche !
Le secteur de la mobilité et des transports est à l'aube d'une révolution sans précédent, grâce à l'intégration de l’IA. La voiture autonome est certainement la première image qui nous vient à l’esprit quand on évoque cette technologie, mais l’IA va aussi améliorer la sécurité, optimiser les flux de transport, fluidifier le trafic, aider à la maintenance prédictive des infrastructures et des véhicules. Elle interviendra certainement aussi pour réduire l’impact environnemental du transport, pour personnaliser les services de mobilité en fonction des besoins des utilisateurs ou pour fournir des données qui influenceront les politiques publiques et les investissements. Mais surtout, elle réduira les erreurs humaines. Pour s’en convaincre, la Cellule Mobilité a voulu illustrer ces changements en présentant un florilège d’applications déjà opérationnelles aujourd’hui ou en passe de l’être.
La voiture autonome
En guise d’introduction, Etienne Willame, Directeur général du SPW Mobilité et Infrastructures a choisi de partager sa découverte des véhicules autonomes en Californie.
Là-bas, ce type de transport, ce n’est pas du futur. Que ce soient les taxis autonomes Waymo ou les petits transporteurs de colis de l’entreprise Nuro, ils circulent déjà dans les rues de San Francisco, embarquent des clients, retournent au dépôt se recharger ou se faire nettoyer. Le constat est frappant : l’IA permet de remplacer les conducteurs humains, souvent à l’origine d'erreurs, tout en offrant une sécurité accrue grâce à des capteurs avancés et à la prise de décision en temps réel. « La question, dit Etienne Willame, n’est pas de savoir si c’est possible, parce que cela existe bel et bien, mais plutôt de se demander quelle place doit avoir ce type de technologie dans notre mobilité, qu’il s’agisse des transports en commun (ce sera certainement une plus-value pour le transport à la demande), de la mobilité active ou du transport de marchandises. » A ces yeux, il est urgent d’entamer le débat en termes de réglementation, notamment (les autorités devront faire des choix stratégiques), car la voiture autonome va bientôt arriver chez nous et il faudra être prêt.
L’IA en 2024 : simple évolution ou révolution en marche ?
Avant de découvrir les autres intervenants et leurs applications, il nous a semblé important de poser les bases de l’intelligence artificielle. Que faut-il entendre par là et comment fonctionne-t-elle ? Ces questions, nous les avons posées à Michel Herquet, Managing partner chez B12 Consulting, un bureau d’experts qui aide les entreprises à répondre à certains de leurs besoins au moyen de solutions innovantes alimentées par l’IA. Il a donc retracé un panorama de l’évolution de l’IA, remontant à la première moitié du 19e siècle avec Ada Lovelace, la première programmeuse « mécanique » de l’histoire. Toutefois, il faudra attendre 1956 pour entendre parler pour la première fois d’intelligence artificielle. A l’époque deux courants coexistent : les systèmes experts et l’apprentissage automatique (machine learning). Le premier échouera en raison de ses limites, le second devra attendre l’arrivée des réseaux sociaux qui vont lui fournir des milliards de données et les progrès technologiques des cartes graphiques utilisées dans les jeux vidéo pour obtenir la capacité de calcul suffisante. Cet instant T pour l’IA se situe aux alentours des années 2020 et l’on peut sans conteste parler de révolution : de très nombreuses tâches vont être remplacées par des ordinateurs. Mais pour Michel Herquet, cette révolution n’a de sens que s’il y a collaboration entre l'IA et les humains.
Améliorer la sécurité routière avec l’IA
Le graphique de l’évolution du nombre de victimes de la route montre clairement l’impact positif de mesures qui ont été prises par le passé comme l’obligation de porter la ceinture de sécurité, la diminution du pourcentage d’alcool toléré dans le sang, l’apparition des radars de vitesse, etc. L’intelligence artificielle pourrait-elle aussi jouer un rôle important en la matière ? C’est ce qu’explore aujourd’hui le centre de connaissance de Vias Institute auquel est rattachée Annelies Develtere. Elle nous a donc présenté plusieurs « UseCase » :
- prédire l’évolution des accidents de la route avec le machine learning ;
- prévenir les accidents avec des caméras et l’IA ;
- détecter l’utilisation du GSM derrière le volant grâce aux caméras et à l’IA.
L’intelligence artificielle permet d’accélérer l’analyse des données, de prédire des situations avant que l’accident ne se produise. Elle permet aussi de réduire les coûts d’activité de contrôle ou d’analyse nécessitant une implication humaine importante. Mais par contre, les limites sont encore bien présentes : règles du RGPD, des images prises par des caméras vidéo qui ne sont pas encore recevables aux yeux de la loi, les craintes liées partage de données, etc. Bref, ici aussi la technologie devance la réglementation et celle-ci va devoir s’adapter.
L’IA à la SNCB
La SNCB croit très fort à l’apport de l’intelligence artificielle. La première véritable utilisation de l’IA à la SNCB, explique Stephan Costeur (Head of Digital and Innovation) a eu lieu au moment de la crise du Covid quand il a fallu évaluer systématiquement le nombre de personnes à l’intérieur de chaque wagon pour respecter les quotas sanitaires fixés par les autorités. Depuis les applications se sont multipliées. Il a cependant choisi d’en évoquer deux lors de notre matinée. La première a pour objectif d’optimiser l’expérience des clients, notamment avec « Mobi », disponible sur Messenger et bientôt sur WhatsApp. C’est un assistant virtuel qui répond aux questions des utilisateurs du train en temps réel. 75% des clients sont à ce stade satisfaits des réponses obtenues. Mobi 2.0 est actuellement en développement. Le chatbot sera cette fois déployé sur GSM pour être directement intégré à l’app mobile de la SNCB. Mais il fonctionnera aussi via mail et sur le site web de l’opérateur de train. La seconde application présentée, c’est la mise à contribution de l’IA pour la formation théorique et les examens des conducteurs de train.
Equilibrer le réseau électrique avec les véhicules électriques et l’IA, tout en réduisant les coûts de recharge
Damien Lepage et Théo Reginster sont cofondateurs de MétéoElec, une PME qui a commencé ses activités en développant des modèles prédictifs sur les marchés de l’électricité et s’est spécialisée dans le trading d’énergie pour notre pays. S’appuyant sur cette double expérience, MeteoElec développe aujourd’hui des solutions qui optimisent le processus de recharge des véhicules électriques dans les entreprises ; l’objectif étant évidemment de réduire les coûts de la recharge, mais aussi l’empreinte carbone des flottes de véhicules électriques. L’exemple présenté lors du colloque est celui d’Elia qui a voulu tester le principe en interne. Sachant que le prix de l’électricité varie d’heure en heure au cours d’une journée et même toutes les 15 minutes (prix ultradynamique), jouer sur le moment de la recharge peut avoir une incidence positive sur le coût de celle-ci. En outre, le moment où les prix sont les plus intéressants correspond souvent à un moment où la production verte du pays fonctionne à plein régime. En profiter pour recharger les véhicules à ce moment-là permet aussi d’éviter des surcharges sur le réseau. Et c’est là que l’IA intervient : elle programme la charge du véhicule en fonction des prix de l’électricité qu’elle prédit (ceux-ci ne sont connus qu’après coup sur la base de la production réelle d’électricité) et en fonction des paramètres de charge du véhicule (niveau de charge actuel, localisation de la voiture, historique des sessions de charge, etc.) qu’elle gère par ailleurs.
Les applications de l’IA chez Infrabel
Chez Infrabel, comme l’explique Jean-Philippe Draye (Lead Manager IT Data Management Solutions and Emerging ICT Technologies), l’intelligence artificielle est une technologie déjà opérationnelle depuis 7 ou 8 ans. On pense à Jarvis, un train qui inventorie via caméra et géolocalisation chaque élément de voie ; l’analyse de chaque carte de circuit imprimé équipant les passages à niveau pour vérifier que tout est opérationnel ; l’analyse des images provenant de drones pour détecter les espèces de végétation invasives le long des voies, etc. Mais aujourd’hui, il y a plus : l’IA générative. Le projet SecureGPT permet aux collaborateurs d’Infrabel d’utiliser ChatGPT, mais dans une version sécurisée pour les questions de propriété intellectuelle. Il y a aussi la possibilité de retrouver facilement toute information, avec références aux textes à la clé, dans l’imposante législation ferroviaire. Ou encore, un chatbot pour les questions RH récurrentes. On fait appel à elle aussi pour l’analyse des incidents. En résumé, l’IA est de plus en plus présente dans les services qui accompagnent la mobilité ferroviaire (la réglementation ne permet pas encore d’avoir des trains autonomes), elle est là pour aider. L’optimisation énergétique via l’IA (Infrabel est le deuxième plus gros consommateur d’électricité en Belgique) sera aussi un axe important de travail pour Infrabel dans les prochaines années.
Analyse et prédiction du trafic autoroutier grâce aux caméras et à l’IA
Au Centre Perex du SPW, de très nombreuses images sont réceptionnées grâce aux caméras disséminées le long des routes et autoroutes de Wallonie. Ne pourrait-on pas les utiliser pour tenter de prédire les embouteillages grâce à l’intelligence artificielle ? Denis Cornet, inspecteur général au SPW MI, a piloté un projet expérimental à cette fin en utilisant les caméras et des données de trafic entre Loncin et Cheratte, la zone la plus fréquentée de Wallonie. En exploitant les flux vidéo en temps réel et les données sur les événements externes (travaux, météo, événements publics), il devient possible, via un module de prédiction analysant les types de véhicules reconnus sur les caméras, les vitesses moyennes et la densité de trafic d’anticiper et gérer les embouteillages. L’expérience a duré 3 mois et a abouti à des situations très proches de la réalité pour les prédictions à 15 minutes. C’est un peu moins précis avec un délai d’une heure, néanmoins, la tendance est quand même bien observable. Recourir à un tel système permettra d’anticiper ces perturbations routières en agissant préventivement sur la vitesse, en avertissant la police et autre intervenant de la route, etc.
L’IA et les chatbots au service des gestionnaires de flottes et des conducteurs
I-Pulses est une société spécialisée dans les technologies telles que l’IA, les tableaux de bord, les chatbots, la data science, etc. Son directeur commercial, Julien Lentz est donc venu présenter FleetDrive, un logiciel de gestion de flotte automobile basé sur un chatbot de nouvelle génération. C’est en quelque sorte l’assistant personnel du fleet manager. Il centralise les informations de chaque véhicule de la flotte, gère les tâches répétitives comme la planification des entretiens et des réparations, établit un historique et une traçabilité des conducteurs, permet à ceux-ci de signaler facilement au gestionnaire de flotte tout problème avec le véhicule, répond à leurs questions, etc. Couplé à une solution de géolocalisation, le chatbot va plus loin. En effet, il autorise le suivi en temps réel de la localisation et de l’utilisation du véhicule, sa consommation, ses besoins d’entretien et même le type de conduite du chauffeur (qui pourrait soulever des questions de sécurité, de consommation, etc.). Autrement dit, il optimise les processus et réduit les coûts opérationnels de gestion de la flotte.
Mobilité et IA dans la Déclaration de politique régionale
Depuis cet été, la Wallonie a un nouveau gouvernement et donc un nouveau ministre de la mobilité, François Desquesnes. Son chef de cabinet adjoint, Pol Flamend a analysé pour nous le chapitre mobilité de la DPR (Déclaration de politique régionale) sous l’angle de l’IA. Elle y est mentionnée à six reprises, soulignant son importance croissante dans la transformation du secteur. Parmi les applications envisagées, l’IA pourrait améliorer les transports en commun grâce à une meilleure planification des lignes, au développement du transport à la demande en zone rurale, à la simplification tarifaire ou en améliorant l’expérience client. Elle a un rôle à jouer dans la multimodalité intelligente (plateformes multimodales, autopartage et cyclopartage, réseau de covoiturage…) ou la surveillance de l’état des routes et des ouvrages d’art contribuant ainsi à la sécurité des infrastructures routières. Un autre chantier sera la définition d’un cadre pour la mobilité du futur (voitures autonomes, réseau des bornes de recharge, digitalisation de l’offre de transport) et celui de la sécurité routière « vision zéro » à l’horizon 2050. Sans oublier les voies hydrauliques et la navigation autonome.
L’IA joue un rôle de plus en plus central dans la mobilité, tant en matière de gestion des infrastructures que de services aux utilisateurs. Mais il a aussi été souligné qu’il est crucial d’intégrer ces technologies de manière stratégique dans notre société pour répondre aux défis futurs.
Les présentations de la matinée
La voiture autonome - Etienne Willame (SPW MI)
Améliorer la sécurité routière avec l'IA - Annelies Develtere (VIAS Institute)
L'IA à la SNCB - Stefan Costeur (SNCB)
L'IA pour analyser et prédire le trafic autoroutier - Denis Cornet (SPW MI)
L'IA pour aider les fleet magagers dans la gestion de leur flotte - Julien Lentz (i-Pulses)
L'IA dans la Déclaration de politique régionale - Pol Flamend (Cabinet François Desquesnes)
Remise des prix
Le colloque annuel de la Cellule Mobilité est aussi l’occasion de remettre plusieurs prix récompensant des initiatives inspirantes en matière de mobilité.
Les prix du Défi mobilité des entreprises
Lors de la Semaine de la Mobilité, la Cellule Mobilité d’AKT for Wallonia organise, à la demande de la Wallonie, le Défi mobilité des entreprises. Celles-ci sont encouragées à mener des actions originales pour sensibiliser leurs collaborateurs à la mobilité durable et à tester les alternatives à la voiture en solo qui s’offrent à eux. Le reporting de ces activités permet à la Cellule Mobilité de choisir trois lauréats. C’est Pol Flamend, en tant que représentant du ministre wallon de la mobilité qui leur a remis ces prix. Les trois lauréats sont :
- 1ère place : Enersol (Herve)
- 2e place : La Haute Ecole Robert Schuman (Libramont-Virton-Arlon)
- 3e place : Chaussures Maniet ! Luxus (Nivelles)
L’Award du Mobility Manager de l’année
Cet award a été créé par la Cellule Mobilité en 2018 pour récompenser le travail d’un/e Mobility Manager et de son équipe, mais aussi pour mettre en valeur la fonction et son utilité pour les employeurs.
Les candidats ont été auditionnés par un jury composé de représentants de la Cellule, du SPW et d’AKT CCI.
L’award 2024 a ainsi été remis lors du colloque par Caroline Decoster, Directrice du Pôle Compétence chez AKT for Wallonia à Stéphanie Roussel d’UCB Pharma.
Avis du jury : « Une vision holistique s’adressant à tous les collaborateurs, quel que soit leur choix de mobilité et apportant à chaque fois des solutions pour diminuer les impacts négatifs tout en sensibilisant et formant les usagers ».
Les trois autres candidats à l’award du Mobility Manager de l’année, n’ont pas pour autant démérité. Raison pour laquelle CBC Banque & Assurances a décidé de leur octroyer un prix de soutien. Randy Frankart, Expert Entreprises chez CBC a donc remis ce prix à :
- David Gabriel de l’Helmo
- Julien Schockmel, Maxime Cheppe et Laurie Buchet de la commune de Léglise
- Cathy Libois de la Ville de Charleroi
Plus d'info sur les lauréats de l'Award du Mobility Manager 2024