Colette Pierard Aucun commentaire

La 25e réunion du Réseau des Mobility Managers s’est déroulée le 12 décembre 2024 à la Helha de Mons autour du thème « La mobilité dans le bilan carbone ». Pour évaluer leur impact écologique, leur permettre d’analyser leurs émissions de CO2 et visualiser les postes où elles pourront agir pour réduire leur empreinte carbone, les entreprises recourent de plus en plus au bilan carbone. Et si cet instrument devenait un outil pour encourager une entreprise à réfléchir à sa mobilité ? Ou si, promouvoir une mobilité plus durable venait améliorer le bilan carbone d’une entreprise ?

En effet, dans les scopes 1 et 3 du bilan carbone d’une organisation, on tient compte de l’impact des flux logistiques et des déplacements des travailleurs. Déplacements domicile-travail, mais aussi de mission et notamment, les voyages d’affaires à l’étranger. Et dans certains cas, ces postes peuvent s’avérer très importants en termes d’émissions. Il nous a donc semblé pertinent d’inviter des experts du bilan carbone pour y mettre en exergue ce volet mobilité.

Comprendre le bilan carbone

Pour poser le cadre dans lequel est apparu et fonctionne le bilan carbone, la Cellule a fait appel à Cécile Batungwanayo, Climate change policy advisor à l’AWAC, l’Agence wallonne de l’Air et du Climat. Elle a commencé par rappeler les objectifs des accords de Paris de 2015 visant à limiter à 2°C et mieux à 1,5°C la hausse des températures mondiales. Or, on n’y est pas puisque selon le Rapport sur les écarts d’émissions 2023 des Nations Unies, la terre va plutôt vers un réchauffement de 3°C ! Face à cette situation, l’Europe a légiféré avec sa loi européenne sur le climat et des objectifs ambitieux : -55% d’émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 par rapport à 1990, neutralité climatique en 2050 et émissions négatives ensuite. Certaines décisions prises notamment dans le cadre législatif du Fit for 55 impactent directement la mobilité (développement de carburants alternatifs, par exemple). Les objectifs wallons se sont calqués sur ceux de l’Europe. Dans le Plan Air Climat Énergie 2030 voté cette année, il est prévu pour atteindre l’objectif de -55% de GES, de réduire les émissions du secteur du transport de 43% d’ici à 2030 ; or ce secteur représente près d’un quart des GES de la Wallonie et ne cesse d’augmenter.

Et le bilan carbone dans tout cela ? C’est une étape importante pour entamer un management carbone beaucoup plus large qui a tout son intérêt pour les entreprises. En effet, il leur permet de faire du risk management pour se préparer aux crises énergétiques,  et aux fluctuations des prix qui en découlent. Outre des réductions de coûts, ce management conduit les entreprises à innover, à anticiper les réglementations européennes qui arrivent (CSRD notamment) et à obtenir plus facilement des financements auprès d’organismes bancaires ou d’investisseurs privés, voire à répondre à certains marchés publics. Enfin, la démarche est souvent structurante, mobilisatrice et implique de ce fait le personnel.

Qu'est-ce qu'un bilan carbone

C’est l’inventaire de l’ensemble des flux émetteurs de GES générés par les activités d’une organisation ou d’un territoire sur une année. Les sources d’émissions sont classées selon trois catégories ou scopes

  • Scope 1 : les émissions directes de l’entreprise ; celles sur lesquelles elle peut directement agir (ses installations, ses équipements, ses véhicules et par là même les voitures-salaire des travailleurs…)
  • Scope 2 : les émissions de l’énergie achetée et utilisée par l’entreprise (gaz de chauffage et de refroidissement, électricité…)
  • Scope 3 : les émissions indirectes
    • En amont : tout ce qui arrive à l’entreprise (la fabrication des biens et services achetés par l’entreprise, les déplacements domicile-travail des travailleurs, les voyages d’affaires, le transport lié à l’approvisionnement…) ;
    • Aval : tout ce qui part de l’entreprise (le transport et la distribution, la gestion des déchets, l’utilisation des produits vendus…).

Il existe différentes méthodologies pour réaliser un bilan carbone, néanmoins on retrouve à chaque fois les trois étapes indispensables :

  • Établir le périmètre organisationnel. Quelles sont les entités de mon organisation que je vais retenir pour le bilan ? Ensuite, quelles sources d’émissions vais-je prendre en compte ? Si le scope 1 est obligatoire, les scopes 2 et 3 sont optionnels. Pour les experts présents, il est important de prendre en compte les 3 scopes, sinon les résultats ne seront pas représentatifs. Jusqu’ici beaucoup d’entreprises rechignaient à comptabiliser les émissions du scope 3 sous prétexte qu’elles n’avaient pas de prise directe sur elles. La réponse des experts est claire : on peut toujours essayer d’influencer et de faire des choix en conséquence.
  • Collecter les données en choisissant une année de référence qui servira de base pour les reportings ultérieurs.
  • Calculer les émissions. La formule est simple : il s’agit de multiplier les données d’activité (ex. la quantité d’énergie consommée dans le bâtiment, les kilomètres parcourus par mode de transport…) par les facteurs d’émissions (ex. : quelle quantité d’émissions pour parcourir 1 km en voiture ? Pour traiter une tonne de déchets organiques ?…). Le résultat s’affiche en tCO2e (tonne équivalent CO2 ) et donne un ordre de grandeur.

Pour info, l’AWAC a mis au point et à la disposition de publics différents des calculateurs simples qui permettent d’avoir une idée de leur bilan carbone. Sinon, il existe des méthodologies et des organismes ou consultants qui accompagnent les entreprises dans cet exercice.

Téléchargez la présentation de Cécile Batungwanayo de l’AWAC

Bilan Carbone et mobilité

Frédéric Mathot (CO2 Strategy) est l’un d’eux ; il est aussi chargé de cours sur ces matières à la Haute École en Hainaut. Pour lui, le bilan carbone est une analyse du cycle de vie d’une entreprise. Il permet de comparer entre eux les différents postes d’une entreprise en termes d’émissions de CO2 alors qu’ils ont des unités différentes (kilomètre, kilowattheure…) et ainsi, jouant son rôle de convertisseur, de voir quels sont les postes de l’entreprise qui sont les plus émissifs pour agir ensuite en conséquence. Le bilan carbone n’est pas très précis ; les marges d’erreur sont importantes, mais l’ordre de grandeur qu’il donne est suffisant pour établir les priorités.

 

 

Comme le montre l’illustration ci-dessous, la mobilité fait partie des principaux postes d’une entreprise qu’il convient de prendre en compte dans le périmètre de son bilan carbone.

Différents flux sont analysés :

  • Les déplacements des employés
    • Déplacements domicile-travail
    • Déplacements dans le cadre du travail
  • Les déplacements des visiteurs

Toutes les parties prenantes (y compris les clients en fin de chaîne) doivent être prises en compte. Mais aussi les différents modes de transport ; la Base Empreinte de l’ADEME fournissant pour chacun d’eux leur score en g CO2e/km.

La collecte des données n’est pas toujours aisée. Si l’entreprise dispose de ces informations (le nombre de trajets domicile-travail, de km et le mode de transport par employé) en raison de remboursements sélectifs par exemple, tant mieux. Mais que faire quand on ne l’a pas ? Il est possible de faire une enquête interne ou d’extrapoler à partir de benchmarks pour avoir des ordres de grandeur. On peut émettre des hypothèses et si l’on se rend compte que l’impact de tel flux est important, prendre le temps, alors, de chercher la donnée. Il est important toutefois de tenir compte des déplacements multimodaux et donc ne pas se limiter au mode de transport principal.

Selon le type d’activité de l’organisation, l’impact des émissions du secteur du transport peut être très variable. Pour une université, par exemple, les déplacements domicile-travail du personnel et surtout des étudiants peuvent représenter jusqu’à 35% des émissions globales ; alors qu’ils n’interviennent que pour seulement 0,5% des émissions lorsque l’entreprise fabrique du béton (là, les principales émissions sont ailleurs). Pour un bureau d’études où par nature, il n’y a pas de production, les déplacements des salariés peuvent représenter jusqu’à 60% des émissions globales. Pour un magasin, l’impact vient surtout de la clientèle.

Le bilan carbone doit permettre de chiffrer facilement le changement. Ainsi, si tel pourcentage d’automobilistes s’oriente vers les transports en commun, quel est le gain de CO2 pour le poste déplacement ? Ou permettre de comparer des alternatives. À partir de combien de km le télétravail, par exemple, est-il intéressant ?

Et après, sur la base d’un bilan, que faire ? Passer à l’action pour réduire ses émissions là où elles sont les plus importantes. Mais pour cela, il est primordial d’impliquer l’ensemble de l’équipe. Et Frédéric Mathot de conclure en recommandant ce plan en 7 étapes.

Téléchargez la présentation de Frédéric Mathot de CO2 Strategy

Témoignages

Pauline De Wispelaere, Bureau Greisch

« Sans scope 3, il n’y a pas d’ambition de changer ».

Chez Greisch, un premier bilan carbone a été réalisé en 2009 à l’initiative d’une première Ecoteam. Mais il y a eu peu de suivi. C’était sans doute trop tôt. Aujourd’hui, ce bilan carbone est en cours de réactualisation pour les trois sites de l’entreprise, mais dans un contexte plus vaste de Certification sur les Objectifs de Développement Durable (ODD) via la CCI. Dans ce contexte, cinq axes de travail prioritaires (dont la mobilité) ont été mis en avant à l’issue d’un vaste brainstorming rassemblant en mars dernier l’ensemble du personnel autour des 17 ODD. Ils constituent aujourd’hui la Responsabilité sociétale de Greisch à l’horizon 2026-2028.

Pour la mobilité, la proposition est un plan multimodal sur trois ans comprenant :

  • une enquête pour connaître les besoins de mobilité de tous les employés ; une collecte des informations liées aux déplacements et aux usages et services de mobilité ;
  • des actions de sensibilisation/coaching
  • l’analyse de la mise en place du budget mobilité fédéral
  • l’électrification du parc automobile et du parking
  • le recensement de l’offre multimodale dans et autour des trois sites et la mise à disposition de cette offre (vélos et trottinettes partagés, leasing vélo via le plan cafétéria…)
  • un audit Tous vélo-actifs et la mise en œuvre des quick wins identifiés
  • l’aménagement de vestiaires et douches sur chaque implantation

La mise en œuvre de ce plan passe par des groupes de travail au sein desquels siège systématiquement un directeur pour faciliter les prises de décision. Et pour ne pas s’essouffler, les actions sont réalisées au sein des groupes de travail en mode course relais : quand une action est réalisée, celui qui s’en est occupé passe la main pour la suite à quelqu’un d’autre.

Frédéric Bossu, Technord

Beaucoup de clients nous demandent un rapport RSE »

 

 

 

 

 

Technord, c’est un actionnariat 100% familial, 7 implantations (dont 4 en Belgique), 400 travailleurs, une grosse augmentation du chiffre d’affaires ces dernières années et le titre d’entreprise de l’année 2023. Technord s’est engagé dans le processus de labélisation B-Corp. La démarche prend du temps, est ultra documentée et nécessite de ne pas se reposer sur ses lauriers puisqu’elle est revue tous les trois ans. Le Bilan carbone réalisé dans ce contexte a révélé un chiffre de 22 tonnes de CO2 par ETP et deux leviers sur lesquels travailler : les achats (80% du bilan) et la mobilité (17%). Pour celle-ci un diagnostic mobilité réalisé par la Cellule Mobilité de l’UWE a mis en avant un report modal possible vers le vélo et le covoiturage. L’ambition est d’augmenter le nombre de cyclistes de 15% (soit 50 personnes) et de covoitureurs de 20%. Un leasing vélo est possible via le plan cafeteria. Le budget mobilité est aussi disponible. En passant à l’électrique, la flotte de véhicules de société permettra de faire baisser le scope 1. Résultat, la mobilité durable s’améliore, mais pas suffisamment vite. Les contraintes (sécurité pour les cyclistes, horaires à pause, difficultés organisationnelles, importance de la possession de voiture) sont des freins importants. De plus, en dehors d’un contexte urbain de certaine taille, le budget mobilité semble aussi moins attirer. En guise de conseil, Frédéric Boussu insiste sur les tests et les expérimentations et surtout, recommande pour avoir plus d’impact, de sensibiliser (fresque de la mobilité, par exemple) avant de proposer certaines mesures comme le budget mobilité.

 

Téléchargez la présentation de Pauline De Wispelaere du Bureau Greisch

Téléchargez la présentation de Frédéric Bossu de Technord